Les ouvrières de Liège


Beaucoup de nos ouvrières des syndicats de Liège ont un fils, un frère, un mari ou un fiancé à la guerre. C’est admirable de voir avec quel courage et quelle foi sereine elles supportent l’épreuve. Comme toutes les âmes simples, et ceux qui sont pauvres, elles savent être héroïques, simplement, sincèrement, sans retour sur elles-mêmes, avec cette facilité du devoir et du détachement que Dieu accorde, surtout, aux petits…

Mme L., une giletière, a un fils et un enfant adoptif, qui se sont engagés. Elle les a encouragés dans leur résolution, sans s’inquiéter de la misère qui pouvait l’atteindre, elle et ses quatre autres petits enfants. Je ne l’ai pas encore entendue se plaindre ! — Le jour du bombardement de la ville, elle n’a pas trouvé de cave où descendre pour se mettre à l’abri avec sa petite famille. Elle est remontée bravement à sa mansarde et a dit aux petits : « Mes enfants, nous allons dire notre acte de contrition, et puis nous endormir, et si nous ne nous réveillons pas demain matin, eh bien ! c’est que nous serons morts, nous serons auprès du Bon Dieu. » Et elle a dormi toute la nuit et ses enfants aussi. « Je ne savais pas, Mademoiselle, m’a-t-elle dit, que c’était si facile de mourir ! »

Une syndiquée encore, mariée depuis six semaines, a vu son mari rappelé sous les drapeaux ; elle l’a laissé partir sans scène de désespoir.

« C’était son devoir, n’est-ce pas ? » et elle s’est inclinée courageusement ; combien d’autres ont pensé comme elle, et ont dit, sans phrases, la même chose : « C’est le devoir !… »

Une autre ouvrière, membre du comité syndical, mariée et ayant un enfant, est venue la veille de la réunion s’informer de ce qui s’y discuterait. « Mon mari part après-demain, m’a-t-elle dit, alors, comme je veux passer cette dernière soirée avec lui, je ne viendrai pas demain soir à la réunion. Mais j’ai voulu venir dire quand même ce que je pensais des secours qu’on pourrait donner à celles qui vont chômer. » Sa propre peine ne lui faisait pas oublier la misère des autres.

Jeanne D. est mariée depuis un an ; un enfant lui est né pendant l’absence de son mari qui est aussi « un rappelé ». — « Ce sera un soldat de plus, a-t-elle dit, et elle ajoutait : je l’ai appelé Georges, comme son père ! au moins, il me restera en souvenir de lui. » Elle n’a pas eu une parole d’inquiétude pour l’avenir incertain, et peut-être si lourd de souffrances nouvelles. C’est une croyante !

Je veux encore citer deux phrases trouvées dans deux pauvres petites lettres qui m’ont été confiées ; elles sont toutes pleines de foi et de simple courage. La première d’une jeune ouvrière à son mari : « Je suis contente, dit-elle, de ce que tu m’écris que tu pries beaucoup, parce que cela te console, espérant que nous nous reverrons un jour. » La seconde lettre est d’une pauvre mère qui termine en disant à son fils : « Sois courageux, jusqu’au bout, mon fils, et tu seras recompensé ».

Ainsi Dieu fait voir la récompense certaine et fait éprouver les consolations de la foi à ces âmes droites que le devoir sauve et dont la confiance ne sera pas trompée.

N’est-ce pas que tout cela est beau, parce que c’est simple ? … Et comme cela nous prêche mieux que les discours et les livres et nous apprend plus à vivre que tous les raffinements de notre romantisme ?

Voilà bien la vraie grandeur, le véritable héroïsme ; celui qui ne sépare point, parce qu’il s’ignore ! Voilà le portrait de la chrétienne : croyante, courageuse et forte. Bienheureuses les pauvres, tâchons d’être comme elles !

Victoire Cappe.

SOURCE

Victoire Cappe, Les ouvrières de Liège, La Femme Belge, N° 11, décembre 1914